Au creux des vallons du Gers

Au creux des vallons du Gers

Je déteste les Maths !

          Me reviennent en mémoire, ce matin, je ne sais pas pourquoi, mes souffrances à l’école quand la maîtresse annonçait : « Nous allons faire du calcul. » Mon ventre alors se tordait dans tous les sens, ma gorge se serrait, j’en aurais presque pleuré et je n’avais qu’une seule idée en tête: demander la permission de sortir de la classe.

          Moi qui m’intéresse tant à la pédagogie et qui dis souvent que je mourrai le cartable à la main, je cherche depuis longtemps comment aborder les mathématiques avec les enfants sans souffrance, je dirais même avec plaisir. Très tôt dans ma carrière je me suis intéressée à Freinet, ami de mon oncle et de ma tante, mais aussi à Montessori , Piaget  ou autres pédagogues connus et reconnus dans le monde entier. Et puis, il y a quelques temps, lisant un article dans un journal, j’ai découvert la méthode de Singapour. Elle n’existe pas en elle-même mais c’est une synthèse de tout ce qui fonctionne en didactique des mathématiques. Dans une conférence de 2014, le grand gourou des Maths de Singapour  reprenait cette affirmation : « Nous n’avons rien inventé. » Et d’expliquer que les occidentaux ont fait de nombreuses recherches sur la pédagogie des Maths mais n’ont pas mis en pratique ces résultats dans leur programme. Singapour, elle l’a fait. Avec des résultats si spectaculaires que de nombreux pays aujourd’hui ont essayé avec succès ce modèle.

 

 

Alors qu’en est-il de cette méthode ?

 

            Le principal enjeu de cette matière, à savoir les mathématiques, au primaire, c’est aider les élèves à passer du monde de concret qui leur est très familier à une vision abstraite déterminée par des règles,des lois et des principes. Pour ce faire, la méthode de Singapour définit trois étapes.

  • Dans la première, dite concrète, les élèves commencent par découvrir la notion mathématique en manipulant des objets comme des cubes ou des jetons.
  • Dans un deuxième temps, les objets sont remplacés par des images qui les représentent.  
  • Enfin, lorsque les élèves se sont familiarisés avec les concepts de la leçon, ils ne travaillent plus qu’à l’aide de chiffres et de symboles, c’est l’étape abstraite. 

 

La manipulation, maître mot en mathématiques.

           Cette méthode a du génie parce qu’elle aide les enfants à réfléchir, à raisonner. Elle incite à voir la présence des mathématiques dans leur vie, leur implication et pourquoi pas leur beauté. Sur ce point là, je suis plus sceptique.

Je n’ai jamais vraiment compris à quoi servaient les mathématiques. Je me rappelle d’une discussion avec un professeur du collège de Figeac, professeur de mathématiques imbu de sa personne, qui disait qu’au-delà des mathématiques, il n’y avait aucun salut.

Fatiguée de ses discours sur l’omniprésence des mathématiques dans la réussite scolaire, je lui posais simplement la question : « Peux-tu me dire dans ma vie de tous les jours à quoi me sert d’avoir appris des sinus et cosinus et autres balivernes ? »

 Sa réponse immédiate me fit tordre de rire : « Mais enfin Marie-Hélène, le jour où tu voudras construire l’escalier de ta maison, tu auras besoin des sinus et des cosinus. »

J’ai essayé de calmer mon fou rire parce que cet homme n’avait pas une tête qui prêtait à rire, il était même glacial, et à mon tour je lui répondis : «  Mon cher ami, si je dois faire un escalier dans ma maison, je téléphonerai à un menuisier. »  Il resta sans voix, pensant sûrement que j’étais vraiment irrécupérable.

          C’est donc ça, la méthode Singapour ou dirais-je, un mix de Freinet, Piaget et Montessori. Il faut tout d’abord que l’enfant qui apprend quelque chose comprenne à quoi cela va lui servir, sinon il ne fera aucun effort  pour essayer d’apprendre. Dans ma classe, il y avait en toutes situations, des problèmes à résoudre. Les enfants restaient acteurs de la recherche, moi, je me contentais de leur donner le matériel nécessaire à leur découverte. Le maître n’est pas là  pour infliger à ses élèves des savoirs toujours des savoirs. Je hais ces maîtres là qui mitraillent des enfants, assis, plus ou moins sagement, sur leurs chaises et qui n’ont qu’une envie, comme disait Prévert, de s’envoler dans les nuages qu’ils voient à travers la fenêtre. 

 

Écoutez ce beau poème de Prévert: Le cancre

         Et puis un jour, j’entre en amour avec les mathématiques. Comment ce miracle a-t-il eu lieu ? Je le dois à un stage de formation continue à l’école normale de Cahors. Je me sentais tellement mal à l’aise, dans ma classe, pour l’apprentissage des notions mathématiques que je me suis portée volontaire pour un stage sur logique et raisonnement.  

            Lors de la présentation des stagiaires, moment redoutable ou chacun doit motiver sa présence à cette formation, je me suis rapidement rendu compte que je n’étais entourée que de professeurs de mathématiques, de passionnés, d’acharnés de la formule, de porteurs de bosse de maths. Qu’étais-je venue  faire dans cette galère ? Une jeune prof, sympa, me rassura tout de suite en me disant qu’il était hors de question de travailler sur des chiffres ou des nombres ou encore des formules. Nous allions tout simplement faire des jeux.

           À moitié rassurée, j’acceptais donc de participer au premier jeu. Il s’agissait d’ un logigramme. Un logigramme est un jeu de logique où il faut résoudre une énigme grâce à plusieurs indices et par recoupement.

                 La prof nous distribua alors des feuilles et nous demanda d’utiliser un crayon à papier et une gomme pour pouvoir effacer rapidement mais aussi de se munir d’une feuille de brouillon où nous pourrions écrire tout ce qui pourrait nous aider à avancer dans cette histoire. Il s’agissait d’une histoire de corbeaux et de fromages,me semble-t-il, qui a première vue n’avait rien à faire avec les lois mathématiques. Assez décontenancée, je suçais avidement le bout de mon crayon. Comme j’ai dit plus tard à la prof, je me mettais dans la position du mauvais élève, celui qui ne sait rien et qui ne fait aucun effort  parce que de toute façon il sait qu’il est nul . Cependant, après avoir lu et relu cette petite histoire, je ne voyais aucun chiffre, aucun nombre, donc je pouvais essayer de trouver la réponse à la question posée. Je pris ma feuille de brouillon et commençais à écrire des phrases du style « Si le corbeau est noir alors il ne peut pas manger un fromage de Hollande ». Cela m’amusait terriblement. Alors, entrèrent en scène des fromages, des corbeaux qui volent en tous sens. Il fallait que je mette de l’ordre dans tout ça et que je trouve pour chaque corbeau le bon fromage. Tous mes collègues avaient déjà terminé depuis bien longtemps. La prof m’encourageait en m’expliquant que ce n’était pas le temps qui comptait mais la réponse.

                 Aidée par ce beau sourire, je continuais mon histoire de corbeau et de fromage. Et eurêka ! Je trouvai la bonne réponse, quel bonheur de voir chaque corbeau muni de son fromage! La prof décida que c’était moi, Marie-Hélène le cancre qui irait jusqu’au tableau noir  Oulala! Voici revenus les fantômes de mon enfance, je suis assaillie par des fourmis partout dans la tête, j’ai mal au cœur, le  pouls s’accélère et me voilà au tableau en train d’essayer d’expliquer. Tous les profs de maths de la salle aux airs de matador se tordaient de rire. La prof, décidément très sympa, m’encouragea à continuer et tança vertement tous ces olibrius narquois.

               À la fin de ma démonstration, elle expliqua à tous ces spécialistes combien ma démarche était logique et que je n’avais eu nul besoin de formules mathématiques. Elle nous fit comprendre qu’il ne faut pas envoyer en pleine figure aux enfants des formules toutes prêtes mais qu’il faut avant tout, les mettre en situation de recherche afin qu’ils puissent créer leurs propres images mentales qui leur permettront de poursuivre bien loin leur apprentissage. Quand ils auront bien compris, alors viendra le temps des formules pour aller plus vite à la solution. 

                Merci madame le professeur de Maths  dont j’ai oublié le nom. Revenue dans ma classe, j’entrepris de changer toute ma façon de faire et surtout de toujours être à l’écoute des enfants, de ne jamais jeter leurs brouillons, bien au contraire prendre un réel plaisir à les lire et les relire pour voir le raisonnement de chacun. J’arrivais à dédramatiser tout apprentissage. Les enfants pouvaient barrer recommencer maintes fois , la gomme était interdite, je voulais voir les traces de leur cheminement.Personne n’est idiot, tout le monde trouve des moyens pour arriver à résoudre une situation, encore faut-il nous donner le temps de la réflexion, de la manipulation ou des essais.

            Mon vécu d’enfant martyrisé  par les mathématiques, avec un père très doué dans cette matière et un frère surdoué lui aussi,  a jalonné mon parcours vers la réussite. J’y suis arrivée par des sentiers différents mais j’y suis arrivée. J’en ai fait mon métier:  institutrice spécialisée, toujours à l’écoute des enfants qui n’y arrivent pas.

            Pour l’anecdote, depuis je suis une fan absolue des logigrammes que l’on trouve un peu trop rarement dans les magasins de journaux. Souvent,j’arrive à résoudre des situations mathématiques difficiles, ce qui, quelques fois, laisse pantois mon entourage.

 

Amusez-vous à résoudre des logigrammes! 

 

Si vous n’arrivez pas à résoudre ce logigramme,, pas de panique, en suivant ce lien vous trouverez les explications détaillées.

                 Je finirai mon billet en citant Monica Neagoy, docteur en didactique des mathématiques. Elle assure depuis plus de 20 ans des formations d’enseignants et de formateurs en Europe et aux États-Unis. Elle dirige la nouvelle édition de la méthode de Singapour de la librairie des écoles. Elle n’a pas seulement traduit la méthode, elle l’a véritablement adaptée pour la France.

 

 » Pour éviter le désamour pour les mathématiques, il faudrait déjà commencer par ne plus considérer les erreurs  comme un problème : elle est utile et naturelle . Les mathématiques, c’est bien plus qu’une réponse juste ou fausse le plus important c’est le partage, la discussion, le décorticage des étapes d’une réflexion ou d’un raisonnement qui sont le plus important.

Si mon professeur m’apprend à expliciter ma stratégie et je comprends qu’elle est efficace et qu’elle m’aidera dans d’autres problèmes du même genre. L’essentiel est acquis à travers la verbalisation ; c’est pour cela qu’il faut mettre plus souvent le haut-parleur sur la pensée des enfants. Il faut qu’ils comprennent qu’on valorise la façon de penser, la stratégie, le raisonnement logique autant que, sinon plus, la réponse numérique correcte au problème. Mais pour que les élèves partagent leur idée, verbalisent leur stratégie ou osent avoir faux, il ne faut pas qu’ils aient peur. La peur est trop souvent associée aux mathématiques scolaires comme en témoignent de nombreux parents et enfants, qui évoquent le cœur qui bat, les rougeurs et les tremblements. Toutes ces manifestations font obstacle à leur attention et donc à leur apprentissage. Il est essentiel d’instaurer une culture mathématique  de la classe où règne confiance, respect et acceptation, pour que les enfants apprennent à s’écouter, à émettre des critiques constructives et respectueuses, à travailler ensemble, et à valoriser la réponse du professeur ou des camarades. C’est ce que propose la méthode de Singapour. »     

 

Pour aller plus loin dans cette réflexion, suivez ce lien.

Bienvenus à vos commentaires, à vos souvenirs d’enfance, j’adore tous les témoignages. Je les lirai et je répondrai. Merci pour votre attention.



13/08/2018
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 139 autres membres